Le 8 mars dernier, j’assistais à un événement chez L’Oréal : “Cessez de vous faire des cheveux avec vos problèmes d’archivage”. Le CR2PA, association dont la spécialité repose sur l’archivage managérial, était l’organisateur de cet évènement fort intéressant.

La première intervention par Nathalie MORAND-KHALIFA, Directrice de l’Information Management Office de l’Oréal, présentait un retour d’expérience sur la mise en place d’un système d’archivage selon un double objectif : améliorer la gestion des menaces autour de l’information, et le développement de services pour améliorer la gestion de la connaissance. Avec des zooms sur les nombreux challenges, comme celui d’impliquer les sponsors dans la durée, et de gérer les impacts d’un système de ce type en sensibilisant les utilisateurs.

La présentation de Nathalie a laissé place à celle tout aussi intéressante, mais sur un autre registre, de Bruno A. Bernard, Docteur ès Science, Research Fellow chez L’Oréal. Appuyé par une histoire relatant des évènements marquants pour sa carrière, Bruno a transmis subtilement et avec plein d’humour des messages extrêmement importants lorsqu’il s’agit de connaissances et de compétences.

Le premier que j’ai noté était une leçon de vie, et concernait l’importance de créer des opportunités afin de pourvoir les saisir, éventuellement plusieurs années plus tard. Ainsi, en début de carrière, Bruno avait travaillé sur la Glycobiologie. De nombreuses années après, son expérience a permis à Yves Saint Laurent d’être la première entreprise à innover sur ce sujet, et prendre ainsi un bel avantage concurrentiel. Steve Jobs avait exprimé le même message, en parlant notamment de son cours de calligraphie lorsqu’il était étudiant, qui lui a permis ensuite, chez Apple de développer les premières polices de caractères à espacement proportionnel.

Le second message, concernait le savoir. Pour citer : “L’évolution de la connaissance est centrifuge (ronds dans des ronds) (…) en parallèle, il y a l’évolution du marché qui se présente sous forme de bulles qui se chevauchent. Lorsqu’une bulle couvre une partie des ronds de la connaissance, alors bingo ! (…) Bien sûr, il ne faut pas avoir perdu cette connaissance ».

Plein de bon sens, cette petite phrase fait encore apparaitre la notion d’opportunité, ainsi que la connaissance, le marché, et le temps. Un « art » serait de générer intelligemment de larges ronds pour augmenter la probabilité que les bulles les chevauchent, et ainsi de déclencher un apport enrichissant. A chacun de transposer cette image dans sa réalité !

Le troisième concernait la plomberie. Citant l’importance de relier des centres d’expertises sur le cheveu et la peau, afin de faire émerger de nouveaux sujets, de nouvelles idées, et donc de la valeur. « Ayant une expertise peau et une autre cheveu, je me retrouve à être plombier entre ces deux mondes, à mettre des tubes pour les relier. Cela fait émerger pleins de choses !!! ». Ce message va bien plus loin que celui d’associer plusieurs expertises pour réaliser un projet. Cela concerne l’implication intellectuelle d’un domaine d’expertise vers un autre, et vice versa. Comprendre ce que font les autres augmente la capacité à générer des opportunités. Il ne s’agit pas de perdre une expertise pour une autre, juste comprendre.

Et enfin la chute (non pas des cheveux), sous forme d’analogie, encore une fois pleine de bon sens, avec le monde biologique, celui dont nous faisons partie. « En regardant les cellules depuis plus de 40 ans j’ai appris que ces dernières partagent des informations de façon organisé. Pour exemple, à l’intérieure des cellules se trouve des enzymes. Une enzyme X peut se trouver dans un catalogue sous de nombreux noms, parce que plusieurs laboratoires ont répertorié une utilisation de cette enzyme dans des voies métaboliques différentes. Ce qui crée des « fonctions » au niveau biologique. Pour analogie avec notre fonctionnement et l’information, nous sommes tous des structures biologiques, et notre mécanisme d’échange est sur cette base. L’organisation biologique est fractale, et basée sur le partage. Au niveau même de nos gènes, les facteurs qui en contrôlent l’expression sont partagés ; d’ailleurs le chromosome se replie pour favoriser ce partage. – La gestion de l’information doit être biologique, elle doit être structuré biologiquement et basée sur le partage » – Notre corps lui-même dépend de sa capacité à partager, sur le temps et à l’instant présent. Nous sommes nés par le partage et pour le partage. Intéressant de prendre ce point de vue et de l’appliquer à l’information, ses usages, ses experts.

A cela Bruno a cité de nombreuse fois le terme de ‘niveau d’émergence’, que je compare aux paliers de Montessori (voir aussi ici). Le cumul d’acquis ne s’exprime pas de façon linéaire mais par palier. Nous apprenons un ensemble d’éléments qui, à terme, tout d’un coup, déclenche une connaissance utilisable

Et l’enjeu est bien de favoriser ces émergences. Au final, Bruno a donné une définition très sympathique, simple, et je pense très réaliste, de ce qu’est l’expertise : « La capacité à créer des liens entre différents sujets ». Effectivement, connaitre par cœur ne donne pas une expertise mais un savoir, relier ces choses donne un savoir-faire et donc une expertise.

En résumé, nous avons besoin de favoriser les échanges entre experts sur des sujets d’actualité pour créer de la valeur. Ces opportunités seraient des apports pour les experts et pour leurs organisations. Et c’est un vrai challenge, car partager est déjà difficile pour beaucoup, et de surcroit sur des sujets que l’on ne maitrise pas, cela l’est encore plus. D’un autre côté, quelle opportunité de comprendre, de connaitre, de se rapprocher, en dehors d’un environnement professionnel, souvent compliqué, pour justement créer de nouvelles opportunités !  – D’ailleurs, si ce point de vue vous plait, c’est l’objectif qui est donné à la communauté de l’info : provoquer des mises en situation pour que des personnes créent des liens entre leurs domaines d’expertises, et génèrent de nouvelles opportunités.

Un grand merci au CR2PA et à l’Oréal pour ces conférences fort passionnantes.